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"ETRES ET CHEMINS DU REVE"..suite de "LE REVE DE PAPUNYA" .L'ART DES ABORIGENES DU DESERT CENTRAL.

http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2010/02/etres-et-chemins-du-revesuite.html

Il faut lire  d'abord le texte précédent dont celui ci n'est que la seconde partie.

 

 

II existe des « résidences d'esprits » pour les espèces natu­relles, exactement comme il y en a pour les êtres humains. En effet, certains héros ne se sont pas contentés de déposer des esprits d'homme dans quelques ils ont également créé en d'autres lieux, tout aussi célèbres, des centres d'où doivent sortir les principes vitaux, c'est-à-dire les esprits, d'espèces naturelles particulières, lesquels assurent la constance de la reproduction de ces dernières. Ainsi un  héros associé au  kangourou,  a surement  pu accomplir quelque part des cérémonies pour la multi­plication de ce marsupial et déposer là une pierre de grande taille, non seulement pour signaler l'emplacement, mais aussi pour entreposer les principes générateurs de cette espèce animale, soit les esprits-kangourous. En tant que pont ou « portail » reliant au Temps du Rêve éternel et créateur, pareil lieu est depuis lors et à tout jamais sacré. Les soins dont il est l'objet et les rites qu'on y célèbre déclenchent la puissance créatrice et provoquent la prolifération, disons, des kangourous dans l’exemple pris

Il n'est pas toujours facile de déterminer comment les abo­rigènes imaginent que les rites de multiplication produisent leur effet. Quand le ou les officiants disent : « Qu'il y ait par­tout, beaucoup, beaucoup de kangourous », et bien d'autres phrases à l'avenant, il ne fait aucun doute qu'ils demandent ce qu'ils veulent voir se réaliser. Mais ils expriment également leur désir par des actes; ainsi, dans la forme de rite la plus simple, ils font voler à la ronde, en soufflant dessus, la poussière de la roche, et ils lancent des pierres ramassées sur le tas sacré ; ou bien encore, ils composent sur place, en ce même lieu, une mixture avec de la pierre pulvérisée •— ou de la terre — et du sang, puis ils vont la déposer dans les endroits où une propa­gation de l'espèce est souhaitée et devrait normalement se produire. Peut-être pourrions-nous dire que, ce faisant, ils libèrent et en quelque sorte projettent les formes sacramen­telles des idées ou des concepts de kangourou, d'émeu ou de wallaby, ou encore qu'ils transfèrent effectivement (du moins est-ce ce qu'ils croient) là où il faut une partie du principe vital de la pierre sacrée et de ce qu'il représente, cette force devant par la suite se communiquer à l'espèce et favoriser sa multi­plication. Quoi qu'il en soit de notre interprétation philo­sophique, sacramentelle et symbolique, on se rend compte qu'ils ne regardent pas la pierre ou le tas sacrés comme une simple roche ou un amas de terre quelconque. L'un et l'autre sont, en un certain sens, animés ; ils peuvent émettre des prin­cipes vitaux, ceux-ci revêtant dans la pensée aborigène soit la forme d'une force universelle opérant indifféremment sur toutes les espèces, aussi bien, par exemple, chez les kangou­rous que chez les wallabies, soit la forme d'esprits-kangou­rous individuels, c'est-à-dire de vies en puissance que l'on fait sortir rituellement de leur habitacle originel pour être incarnées. a.p elkin .les aborigènes australiens.gallimard.

  
 

 

 

 

 

Tout provient, donc du « rêve » : les interdits, telles la prohibition de l'inces­te et l'exogamie, les rites et les cérémonies religieuses, l'obligation d'être circoncis ou le tabou entre le gendre et la belle-mère. Tout a son origine et son fondement dans le Temps du Rêve qui se trouve être à la fois cause, modèle et justification de tout ce qui est et de tout ce qui se fait.

 Les ancêtres ont institué nombre des principes qui régissent la communauté des hommes. Ils ont inventé des pratiques rituelles telle la circoncision, donné leur forme aux cérémonies, établi les règles du mariage et vécu selon les divisions sociales qui définissent les groupes humains actuels. Ils ont aussi créé des objets de la culture matérielle comme les pointes de lance en pierre, les boomerangs et les sacs en fibres tressées. Les plantes et les animaux apparus dans une région donnée ont reçu leur nom des ancêtres quand ceux-ci s'adressèrent aux hommes qui allaient en assumer la responsabilité. Ensuite, ils ont inventé les chants, les danses et les peintures afin de commémorer les grands événements de leur vie et de leurs voyages. Si une coutume n'est pas incluse dans un mythe, cela dénote qu'elle vient tout simplement de l'homme, et on en fait alors peu de cas; en revanche, si une pratique nouvelle est instaurée ou propagée, ou encore si un usage récent est regardé comme essentiel, on trouvera le moyen de les introduire dans la mytho­logie.

 

 

«  il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'un simple temps des origines. Le Rêve est plutôt une dimension parallèle au temps historique des hommes, une permanence en mouvement, une mémoire vivante de la matière cosmique. Cette mémoire se mani­feste dans l'environnement du simple fait que tout en est issu et continue à se reproduire. En outre, c'est précisément en rêve quees hommes et les femmes peuvent voyager dans cet espace-temps où le passé est synchrone avec le présent.

Les Aborigènes préfèrent souvent à Dreamtime la traduction Drea-ming « en train de rêver », expression qui insiste sur le fait que les êtres éternels ne sont pas de simples ancêtres mais des principes qui sont rêvés tout autant qu'ils « rêvent » les hommes. L'espace-temps du Rêve apparaît comme une mémoire fonctionnant indépen­damment des hommes et où ils vont puiser, sans être conscients de tout ce qu'elle contient. Elle contient tout ce qui fut, qui est et aussi ce qui pourra advenir. C'est un peu comme une banque de données qui comprendrait toute la matière et les forces de l'univers et dis­poserait de tous les programmes possibles, qu'ils soient ou non mis en application. barbara glowczewski.op.cite

 
 

 

Puisque ce passé mythique » est, donc d'un certain point de vue, présent Les grandes révélations faites aux néophytes consistent en des cérémonies qui évoquent  les actions des ancêtres et des héros d'autrefois. Être initié équivaut non seule­ment à  simplement apprendre les événements de ce passé, mais aussi à les revivre, et, en fait, à s'assimiler à ce Temps primordial au point d'en devenir l'incarnation même. Individus ou groupes se disent dans une relation privilégiée avec tel ou tel Rêve, c'est-à-dire un héros ou un peuple ancestral et éter­nel. Ils peuvent avoir un ou plusieurs Rêves comme nom individuel ou collectif, ou comme simple attribut.(le totem des anthropologues). Le lien avec les totems est souvent exprimé en terme de filiation : hommes et femmes disent incarner tel ou tel Rêve, descendre du Rêve Emeu ou Prune. À ce titre ils considèrent les émeus ou les prunes comme des frères.

 

Dans  et par les cérémonies sacrées le néophyte entre dans le monde  des ancêtres et, à ce moment précis, il accède à un autre mode d'exis­tence. Le rêve opère encore  aujourd'hui par l'entremise des initiés et produira demain encore ses effets à condition que les hommes conser­vent les liens qui les maintiennent en contact avec lui. En effet, celui qui entonne le chant cérémoniel, comme celui qui danse sur ce chant, a le pouvoir de rassembler les conditions de reproduction du monde car chant et danse sont telles des formules savantes permettant au monde de se régénérer. Il y a par conséquent un pouvoir reposant sur la connaissance du lieu où doit être exécutée la cérémonie, du moment, des paroles, des chants et des danses, qui détermine l’importance sociale de chaque individu.

   

 

Donc, il y a bien, bien longtemps de cela, comme on dit dans  les   contes   de fées   d'Europe, les aborigènes des Petermann Ranges possédaient un chêne du désert qui brûlait continuellement, sans jamais se consumer cepen­dant. C'était le seul feu qu'il y eût au monde et il était considéré comme de très grande valeur par ses possesseurs ? aborigènes. Car, si le feu de leur camp venait à s'éteindre : du fait de la tempête ou par manque de soin, ils pouvaient toujours venir à l'arbre incandescent  et rallumer leur flamme.

En ces jours-là, vivait un vieil Homme-Dindon Sauvage particulièrement désagréable, Kipara, qui, ayant eu une querelle sans importance avec les possesseurs du feu pro­jeta de dérober celui-ci et de le jeter dans la mer. S'il y avait réussi une affreuse calamité aurait frappé le monde.' Les aborigènes n'auraient plus pu se chauffer pendant les froides nuits d'hiver, ils n'auraient plus pu éclairer leur;; route aux heures d'obscurité. C'est un monde froid et I sombre  qu'aurait eu  à  affronter la race humaine sans l'initiative de deux Hommes-Faucons   qui,  au  dernier moment arrachèrent le brandon au vieux bandit rancunier. La légende du vol du feu, largement répandue dans la mythologie aborigène, se termine toujours par l'échec du coupable et la récupération du feu. Certaines tribus côtières  croient  que  ce fut le  Pinson-à-queue-de-feu  qui sauva le feu et que le point rouge de sa queue est la marque de la brûlure que se fit le courageux petit oiseau en rap­portant le brandon ardent du voleur à ses premiers pos­sesseurs.

Le chant d'ouverture décrivait la manière dont Kipara essaya d'attirer l'attention d'un groupe de femmes par sa bouffonnerie. Les façons grotesques du Dindon Sau­vage échauffé furent portraiturées de façon réaliste par Tjalerina. Poussant des appels d'une voix haute et rauque, il se dirigea vers les chanteurs avec un curieux sautille­ment, les hanches raides, les pieds  étroitement  réunis quittant à peine le sol. Au paroxysme, près du cercle des chanteurs, ses cris devinrent plus aigus et plus rauques et ses gestes si violents qu'il perdît l'équilibre, tomba sur le dos et resta sur le sol, les pieds en l'air, en continuant à pousser des cris aigus. Les hommes m'expliquèrent que le descendant actuel de Kipara, le dindon sauvage (Eupo-dotis australis),  use encore  des mêmes   méthodes pour attirer la femelle à la saison des épousailles. Il l'appelle d'une voix profonde et   grondante et,   lorsqu'elle ap­proche, devient si agité, a des gestes si démonstratifs, qu'il lui arrive souvent de basculer comme le Kipara d'autre­fois.

  

Iputulita, kapi) wiara, niula, kana, wanmai, chantaient doucement les hommes sur le rythme du tâtonnement désespéré et des cris plaintifs de l'oiseau Courant. Lentement pouce par pouce, il avançait en rampant, la face près du sol les mains cherchant en aveugle de côté et d'autre, véritable peinture de l'impuissance et du desespoir…..

Bien que les cérémonies des aborigènes soient peut-être la forme la plus primitive du drame, elles se rapprochent, à un point de vue important, des grands opéras de Wagner. De même que celui-ci a immortalisé, par son incomparable moyen de la musique et de l'action, les puissants exploits des dieux et des demi-dieux, de l'ancienne race nordique, de même les aborigènes contemporains, par leurs chants des âges anciens et leurs rites étranges, conservent vie à l'épopée de leurs temps héroïques.

Mais là fonction de ces expressions dramatiques est très différente dans les deux cultures. Elles sont pour nous un rroyen de passer une soirée agréable, une diversion à nos tâches quotidiennes ; pour les aborigènes, elles sont l'extériorisation de leurs croyances et de leur philosophie. Le spectacle auquel j'avais assisté cet après-midi-là n'était pas du théâtre ; c'était l'expression dramatique vitale qui reliait les acteurs du présent à leurs ancêtres du passé obscur peuplé de fantômes. Il n'y avait ni applau­dissements, ni foule admirative, il n'y avait pas même quelques spectateurs ; tous, et chacun, chantaient ou jouaient une partie dans un des nombreux drames qui ramenaient, par cent chemins, au mystique « Temps du Rêve » d'où ils avaient jailli. CHP. MOUNTFORD hommes bruns et sables rouges

  
 
 

 

 

L'esprit de la conception établit avec le monde ancestral un lien qui ne cesse de se renforcer tout au long de la vie de l'individu. En vieillissant, hommes et femmes participent davantage aux cérémonies et sont initiés aux différentes phases des rituels. Lors de chaque étape initiatique, on dessine sur le corps des initiés certaines peintures puis on les frotte avec des objets sacrés. Ils découvrent certaines sculptures cérémonielles et l'on chante à leur attention. Par ces actions, perçues comme des apparitions tangibles des puissances spirituelles, les ancêtres entrent en contact avec les initiés. En vieillissant, les humains ressemblent davantage aux ancêtres; ils ont absorbé la substance du passé ancestral et sont sur le point de vivre à nouveau dans le monde du Rêve. Lorsqu'un décès survient, il est nécessaire pour la survie de l'âme du mort, mais aussi pour la continuité du Rêve, que celle-ci retourne dans le monde des esprits. Les rites funéraires doivent alors s'assurer que l'âme retourne dans le passé ancestral pour rejoindre les « réserves » de pouvoir spirituel dont elle est issue. Dès que son voyage est achevé, elle devient une source de puissance spirituelle. Nombre d'âmes reviennent sous forme d'esprits de la conception pour donner naissance à une nouvelle génération.

 

 Puisque Les Rêves ou héros totémiques sont en général associés à des sites particuliers, (les lieux mêmes qu'ils ont nommés et où ils ont laissé des traces de leur passage.) chaque individu, au nom de ses totems, est considéré comme gardien des sites correspondants. Ces sites, points d'eau, rochers, collines, grottes, etc., lui appartiennent tout comme il leur appartient. Il doit effectuer certains rituels avec d'autres membres du même totem pour fortifier les liens qui les unissent au sol et aux êtres éternels. De plus  le sommeil permet de découvrir de nouvelles associa­tions mythiques et de « totémiser » des choses qui ne l'étaient pas à la génération précédente. L'expérience onirique vient ainsi enrichir ou modifier par de nouveaux épisodes la signification symbolique du paysage et les récits mythiques associés qui sont transmis de génération en génération.

  

 

« Cette matrice des rêves correspond non à un âge d'or passé mais à un espace-temps éternel et en devenir auquel on accède par des sortes de portails virtuels que sont les sites sacrés, les rites et surtout la pratique onirique. Beaucoup d'Aborigènes disent que les sites renvoient des images et des sons un peu comme des radiations, des vibra­tions ou des ondes. En dormant sur les lieux on peut ainsi se nourrir de leur mémoire ; en dansant et en chantant, on entre en phase avec ce qui s’en dégage ….

 Mais pour éviter que soit dangereuse, il faut être né de cette terre ou en être un initié et connaître des milliers de vers à chanter permettant de " donner sens à ce qui se connecte en tel ou tel lieu. Les itinéraires  mythiques, qui sont célébrés dans les rites sous forme de chants,  de danses et de peintures sur le corps, sur des objets sacrés sur le sol, sont des cartes cognitives au sens où ces récits enfj performance consignent des informations essentielles pour la survie de la société. » barbara glowczewski.op.cite

  
 

Que l'on profane les sites et n'en prenne plus soin, que l'on n'assure plus la relève des anciens par de jeunes initiés, qu'on oublie le contenu des mythes et omette de célé­brer les rites, alors la vie s'éteindra, car les esprits et les principes vitaux qui émanent du Temps du Rêve ne pourront plus être sollicités et obtenus.

 

 

Enfin, les itinéraires mythiques intertribaux sont une manière de trans­poser dans l'espace-temps du Rêve le tissage des alliances qu'effectuent les groupes qui en sont les dépositaires rituels. En leur nom s'effectuent des rassemblements cérémoniels, une circulation d'objets culturels et des transferts de rituels. S'appuyant sur des repères géogra­phiques, génération après génération, le  Rêve matérialise un processus de fabrication du réseau social.

  

 

« Partout où nous avons réussi à percer suffisamment la vie secrète indigène, nous avons constaté que cette concep­tion exerce sans cesse une influence sur l'activité cultuelle. Citons en exemple une pratique commune aux tribus Bard et Karadjeri situées respectivement au nord et au sud de Broome : lorsqu'elles mettent à l'abri dans la resserre sacrée les rhombes et les objets de bois qui servent au culte ou bien quand elles les en sortent pour les exposer, ceux-ci, qui sym­bolisent le héros civilisateur, doivent toujours être disposés l'extrémité tournée vers la piste ou dans la direction que ce dernier a jadis empruntée. Par ailleurs, dans le Centre et le Sud de l'Australie, c'est, nous l'avons vu, le chemin mytho­logique où se produit, soit la conception, soit la naissance, qui constitue non seulement le facteur déterminant de l'affilia­tion à une « loge » secondaire ou même principale, mais aussi la « patrie » de l'enfant, la « terre ancestrale », comme on l'a si bien dénommée. Toute cette importance donnée aux « chemins » dans ces régions tout comme dans celles qui les avoisinent du côté de l'ouest, s'explique sans doute par les conditions géographiques et économiques : aridité du pays et, aujourd'hui autant qu'hier, rareté des points d'eau d'accès facile.

L'existence de ces chemins éclaire un fait qui parfois déroute ceux qui étudient sur place la vie cultuelle aborigène. Ils s'aperçoivent qu'après avoir prétendu connaître parfaitement la direction et l'emplacement exact d'un site sacré, les indi­gènes empruntent très rarement pour y aller la voie la plus courte; en réalité, ils partent comme s'ils se rendaient abso­lument ailleurs, ou bien ils donnent l'impression de ne pouvoir trouver la sente qui mène à l'endroit voulu. Ce comportement trouve son explication dans le fait que pour approcher un lieu sacré, il faut y arriver par le chemin que prit le héros au souvenir duquel ce site est associé; pour ce faire donc, on peut avoir à s'écarter momentanément du but, et il arrive même qu'avant de pouvoir s'engager avec certitude sur une piste, des informateurs aient à en chercher tout à l'entour les traces.

Nous poumons définir ces chemins en disant qu'ils sont de nature intergroupale et intertribale, voulant exprimer par là que, puisqu'ils traversent les patries et les territoires des clans locaux et des tribus, ils contribuent à établir des liens entre ces groupes et ces tribus. Tous ceux dont les patries, sans tenir compte de la tribu, se trouvent situées le long d'un che­min parcouru par un héros ou par un groupe de héros, par­tagent inévitablement un sentiment tacite de confiance et d'amitié qui se traduit par un désir mutuel de se recevoir et de se protéger. Ceci permet en tout cas aux membres d'une société cultuelle à qui incombe la responsabilité des mythes et des rites associés avec le héros dudit chemin, d'emprunter ce dernier sans rien avoir à craindre lorsqu'ils traversent les territoires des autres tribus, pour autant que leur démarche soit pacifique et qu'elle ait un rapport quelconque, même indirect, avec le culte. Voici un exemple qui illustre de façon remarquable ce que nous venons de dire : pour aller chercher de la sanguine, les aborigènes du nord-est de l'Australie méridionale devaient se rendre jusqu'aux dépôts argileux de Parachilna, distants de 300 à 400 miles de leur point de départ; à cet effet, ils pouvaient suivre d'un bout à l'autre le chemin parcouru jadis, d'après la mythologie, par l'émeu et les chiens dont le sang forma ce dépôt d'ocre rouge. ». a.p elkin .les aborigènes australiens.gallimard.

   
 

 

 

Parce qu'il relie de cette façon les patries des groupes, l’itinéraire  joue un autre rôle très important : il fait que, pour tout ce qui concerne leur culte, les divers groupes locaux et tribus se trouvent placés dans une dépendance mutuelle. Pour obtenir la relation complète des grands mythes et voir accomplir tous les rites qui s'y rapportent, il faut se rendre successivement dans chaque groupe et dans chaque tribu. ceux ci  sont  gardiens d'un des chapitres du récit, des rites et des sites qui sont associés avec cette partie du mythe. Or seul le mythe global et la célébration complète des rites garantissent la continuité temporelle. il importe donc que chacun  remplisse à fond le rôle qui lui est imparti. Dès lors, la vie cultuelle lie les groupes et les tribus à la manière des maillons d'une chaîne.

   

Soit  les rites destinés à favoriser la multiplication des espèces naturelles (comme les ignames, le poisson, les marsupiaux, la pluie et bien d'autres choses encore, nécessaires à la vie) et le maintien en bon état des sites qui abritent les principes vitaux et les esprits de ces espèces. Un (ou quelque­fois plusieurs) de ces rites et de ces sites est confié aux soins d'un groupe local, mais comme ce dernier a besoin pour sa subsistance que d'autres espèces se reproduisent d'une façon constante, et comme ceci implique des rites et des sites qu'il ne contrôle pas, il en résulte que sa propre existence dépend de connaissances, d'activités cérémonielles et de sites qui sont du ressort d'autres groupes cultuels locaux. Ces services reçus et rendus nous montrent que la vie cultuelle est un vaste système de coopération rituelle qui rend solidaires groupes locaux et tribus.

L'interdépendance des groupes est aussi créée par un autre facteur : très souvent, en effet, les itinéraires qui furent témoins du passage de deux ou de plusieurs héros traversent le pays d'un clan  autre territorial; il arrive que ces chemins se croisent sur le terrain et les points d'intersection sont presque toujours connus. aussi  les membres d'un groupe local sont obligés de prendre en compte les  chemins et les mythes de tous les héros qui passèrent par leur terri­toire, bien qu'ils ne s'occupent habituellement que d'un seul ; de même, des personnes d'un même groupe local peuvent être liées à des itinéraires  et à des héros mythologiques différents, puisque cela dépend de l'endroit où a été trouvé leur esprit-enfant , du site de leur conception, ou encore de leur lieu de naissance ; Ceci explique parfois pourquoi des membres d'un même groupe local ont des affiliations totémiques différentes, et pourquoi, tout en même temps, chaque homme possède plusieurs totems et, quelquefois, tous les totems.

   

 

Dans ce passage du « Chant des Pistes » de Bruce chatwin, l’initiateur de celui-ci arkady accompagné « d’anciens » aborigènes est chargé du tracé d’une ligne de chemin de fer .où l’on apprend que la ligne droite n’est pas le plus court chemin dans la pensée de ces anciens, puisqu’il faut éviter les sites sacrés.

 

  

 

Dans la Genèse, Dieu a d'abord créé les "choses vivantes" et, ensuite, a façonné dans l'argile notre père Adam. Ici en Australie, les ancêtres se sont eux-mêmes créés à partir de l'argile, par centaines et par milliers, un pour chaque espèce totémique. 

« Ainsi quand un aborigène vous dit : "J'ai un rêve Wallaby", il veut dire : "Mon totem est le Wallaby. Je suis membre du clan Wallaby." 

—  Un rêve est donc un emblème clanique? Un insigne pour distinguer "nous" de "eux"? "Notre pays" de "leur pays" ? 

—  C'est beaucoup plus que cela », dit-il. Chaque homme Wallaby croyait qu'il était issu 

d'un père universel Wallaby, lui-même ancêtre de tous les autres hommes Wallaby et de tous les Wallabies vivants. Les Wallabies étaient donc ses frères. En tuer un pour se nourrir relevait à la fois du fra­tricide et du cannibalisme. 

—  Toutes les espèces, dit-il, peuvent être un rêve. Un virus peut être un rêve. On peut avoir un rêve varicelle, un rêve pluie, un rêve orange-du-désert, un rêve pou. Dans les monts Kimberley, ils ont maintenant un rêve argent….

   
 

Il continua en m'expliquant comment, lors de sa traversée du pays, chaque ancêtre avait laissé dans son sillage une suite de mots et de notes de musique et comment ces pistes de rêve formaient dans tout le pays des « voies » de communication entre les tri­bus les plus éloignées. 

« Un chant, dit-il, était à la fois une carte et un topo-guide. Pour peu que vous connaissiez le chant, vous pouviez toujours vous repérer sur le terrain. 

—  Et est-ce qu'un homme parti en walkabout sui­vait toujours ces itinéraires chantés ? 

—  Jadis, oui, approuva-t-il. De nos jours, ils voyagent en train ou en voiture. 

En théorie, du moins, la totalité de l'Australie pouvait être lue comme une partition musicale. Il n'y avait pratiquement pas un rocher, pas une rivière dans le pays qui ne pouvait être ou n'avait pas été chantée. On devrait peut-être se représenter les songlines sous la forme d'un plat de spaghetti composé de plusieurs Iliades et de plusieurs Odys­sées, entremêlées en tous sens, dans lequel chaque « épisode » pouvait recevoir une interprétation d'ordre géologique…… 

« Par "épisode",(du « rêve ») demandai-je, vous entendez "site sacré"? 

—  Exact. 

—  C'est le genre de site dont vous faites le relevé pour la ligne de chemin de fer? 

—  Si vous voulez, dit-il. Dans la brousse, à quel­que endroit que vous soyez, vous pouvez indiquer n'importe quel point caractéristique du paysage et demander à l'aborigène qui vous accompagne : "Quelle est l'histoire de l'endroit ?" ou "Qui est-ce ?" Immanquablement, vous vous entendrez répondre "Kangourou"  ou "Perruche" ou "Lézard", selon l'ancêtre qui est passé par là. 

- Et la distance qui sépare deux de ces sites peut être considérée comme le passage d’un chant (le récit mythique est chanté et dansé)

  

 

— C'est précisément, dit Arkady, la raison de tous mes ennuis avec les gens de la compagnie ferroviaire. » 

C'était une chose de convaincre un topographe qu'un amas rocheux était les œufs du Serpent Arc-en-Ciel ou qu'un gros bloc de grès rougeâtre était le foie d'un kangourou transpercé d'une flèche. Il en allait autrement quand il fallait le persuader qu'une bande de gravier sans traits distinctifs était l'équi­valent musical de l'opus 111 de Beethoven. 

En amenant le monde à l'existence par le chant, dit-il, les ancêtres avaient été des poètes dans le sens originel du motpoiêsis, la « création ». Aucun abori­gène ne pouvait concevoir que le monde créé pût être imparfait. Sa vie religieuse tendait vers un but unique : conserver la terre comme elle était et comme elle devait être. Celui qui partait pour un walkabout accomplissait un voyage rituel. Il mar­chait dans les pas de son ancêtre. Il chantait les strophes de l'ancêtre sans changer un mot ni une note — et ainsi recréait la création.

   
 

« Parfois, dit Arkady, j'emmène mes "anciens" dans le désert et, arrivés sur une rangée de dunes, ils se mettent soudain à chanter. Je leur demande : "Qu'est-ce que vous chantez, vous autres ?" et ils me répondent: "On chante le pays, patron. Ça le fait venir plus vite." » 

Les aborigènes ne pouvaient pas croire que le pays existait avant qu'ils ne l'aient vu et chanté — exactement comme au Temps du Rêve, le pays n'avait pas existé tant que les ancêtres ne l'avaient pas chanté. 

« Ainsi donc, dis-je, la terre doit d'abord exister sous la forme d'un concept ? Puis elle doit être chan­tée ? Ce n'est qu'après cela que l'on peut dire qu'elle existe ? 

—  C'est cela. 

—  En d'autres mots, "exister" c'est "être perçu" ? 

—  Oui.

Bruce chatwin.le chant des pistes. biblio

 

   

 

 

 

 

 

 

 


20/11/2010
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