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AMAZONIE TERRE DE VISIONS (3)...LA OU "LES YEUX MEURENT "POUR QUE DANSENT LES ESPRITS!"

AMAZONIE TERRE DE VISIONS (3)...LA OU "LES YEUX MEURENT "POUR QUE DANSENT LES ESPRITS!"

 

 

              http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2010/02/etres-et-chemins-du-revesuite.html                                                  

 

 

L’animisme, selon la définition qu’en donne Philippe Descola, «

 

c’est l’imputation par les humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur » L’animisme humanise les plantes et les animaux en les dotant d’une « âme » (anima) qui leur permet de se comporter selon les normes sociales et les préceptes éthiques des humains, mais aussi d’établir avec ces derniers aussi bien qu’entre eux des relations de communication. Pour autant, l’humanisation n’est pas complète, car tout en possédant la même intériorité que les humains, les plantes et les animaux se distinguent des hommes « par leurs vêtures de plumes, de poils, d’écailles ou d’écorce, autrement dit par leur «  physicalité ». Cette différence des physicalités est d’ailleurs plus de forme que de substance. Pour les Indiens de la côte nord-ouest du Canada, par exemple, les animaux sont faits de la même substance que les hommes ; leur forme animale distincte leur vient de la peau. 

 

                                                             

 

 

Cette ontologie animiste est particulièrement présente chez les peuples amérindiens (même si tous les Amérindiens ne sont pas animistes). Et la plupart des mythes des Indiens d’Amérique racontent l’émergence de discontinuités de formes à partir d’un continuum originaire au sein duquel humains et non-humains n’étaient pas clairement distingués. Mais cela n’aboutit pas à la distinction d’une « nature » et d’une « culture » puisque « si les plantes et les animaux ont désormais des physicalités  ou des apparences différentes de celles des humains – et donc des moeurs qui correspondent à l’outillage biologique propre à chaque espèce – , ils ont aussi pour la plupart conservé jusqu’à présent les facultés intérieures dont ils jouissaient avant leur spéciation : subjectivité, conscience réflexive, intentionnalité, aptitude à communiquer dans un langage universel, etc. »). Les mythes ne parlent d’ailleurs pas seulement des origines. Ils racontent aussi les métamorphoses toujours possibles, liées à l’identité des intériorités : un être humain prend la forme d’un animal ou d’une plante, un animal celle d’un autre animal... Rien de plus normal que cette interchangeabilité des formes chez tous ceux qui possèdent la même intériorité.

                                                             

 

Dans cette ontologie, les animaux sont réputés vivre une vie analogue à celle des humains. Ainsi, les Wari’ prétendent que le pécari fait de la bière de maïs alors que le jaguar ramène sa proie à la maison pour que son épouse la cuisine. Ce n’est pas que les Indiens ignorent la « véritable » vie animale : « ils savent bien que le jaguar dévore sa proie toute crue et que le pécari dévaste les plantations de maïs plutôt que de le cultiver » .Mais ils expliquent que le jaguar et le pécari se voient eux-mêmes « comme accomplissant des gestes identiques à ceux des humains »

« On a déjà vu que ces Indiens de l'Amazonie colom­bienne qualifient de masa (« gens ») un grand nombre de plantes et d'animaux dotés d'une âme identique à la leur, mais dont ils font pourtant leur pitance quotidienne. Avant de consommer toute nourriture végétale ou carnée, les hommes chantent donc mentalement une incantation destinée à la décontaminer, c'est-à-dire à la dépouiller de ses principes nocifs. Appelés « armes », ces principes sont considérés comme les pouvoirs que chaque espèce a reçus en partage lors de la genèse mythique, pouvoirs qui déter­minent ses habitudes alimentaires et ses pratiques repro­ductives comme les moyens de se protéger dans son habi­tat. ….dans les nombreux mythes et anecdotes qui racontent le séjour d'un humain chez un peuple à l'apparence et aux manières tout à fait humaines, c'est toujours un détail insolite dans les coutumes de ses hôtes qui fait soudain prendre conscience au visiteur de la nature animale de ceux qui l'accueillent : un plat de charogne servi avec civilité révèle des gens-vautours, une naissance ovipare dévoile des gens-serpents, un appétit cannibale des gens-jaguars… »

 

« du moins dans les Amériques, les per­sonnages des mythes ne sont que rarement relégués dans le passé indéfini où l'on dit qu'ils ont acquis leurs pro­priétés distinctives, car les effets de leurs actions bien­veillantes ou hostiles se font sentir jusqu'à aujourd'hui. Nunkui, la créatrice des plantes cultivées chez les Jivaros, continue d'exercer sa tutelle sur les jardins contemporains et les femmes recherchent activement son assistance. Parmi les Ojibwa, « il est communément admis que tous les dtîso 'kanak [personnages de la mythologie] peuvent assumer différentes formes » ; or, ces êtres aiment venir écouter les mythes que l'on raconte à leur sujet ou, tels les « oiseaux-tonnerre », communiquer aux hommes des messages. L'évidence de la présence continuée de ces s entités improprement appelées mythiques n'est nulle part plus visible que dans les rêves, où elles paraissent en géné­ral sous un avatar humain. À propos des Ojibwa, toujours, Hallowell rapporte le rêve de l'un de ses informateurs qui, encore dans l'adolescence, rencontra sous sa forme humaine le « maître » des aigles dorés, lequel, s'étant trans­formé sous ses yeux en un oiseau de la même espèce, l'in­vita à le suivre ; le garçon prit alors lui-même l'apparence d'un aigle doré et s'envola derrière son mentor »  .philippe descola. Par delà  nature et culture. gallimard

                                                                         

« Ce massif rocheux est, je l'ai dit, une maison d'esprits, et ce sont eux les véritables maîtres de la forêt. Nous, nous ne faisons que vivre parmi leurs miroirs, que nos anciens ont un peu éloignés pour construire notre habitation. C'est pourquoi notre maison est entourée de chemins où se déplacent les esprits des eaux, et de miroirs où jouent les esprits animaux, ceux qui marchent dans la forêt, grimpent aux branches ou ont des ailes. C'est ainsi. Dans la forêt, il y a d'innombrables esprits animaux partout où vivent les êtres humains. Cependant, les Blancs, lorsqu'ils voient la forêt, ne pensent jamais à cela. Ils ont beau la survoler en avion, ils ne voient toujours rien. Ils doivent se dire que la terre et ses montagnes sont posées là, sans plus de raison. Ils doivent pen­ser que la forêt ce n'est que beaucoup d'arbres. Mais les chamans yanomami, eux, voient les miroirs qui y sont posés, ils savent que notre forêt appartient aux xapiripë et qu'elle est faite de leurs miroirs.»

Dans la forêt, les images des ancêtres animaux sont innombrables, mais il n'y a pas qu'elles. Les chamans appellent aussi bien celles des arbres, des feuilles et des lianes ou encore celles des miels, de la terre, des pierres, des eaux, des rapides, du vent ou de la pluie. Elles dansent toutes pour eux comme xapiripë. »  davi  kopenawa. extrait de yanomami l’esprit de la foret.fondation cartier pour l'art contemporain.

                                                            

 

 

Une des conséquences de ce qui précède est que L'attitude des Indiens vis-à-vis du monde naturel n'est ni humble ni résignée. N'attendre aucune faveur des esprits :plutôt que de chercher  à s'attirer leurs bonnes grâces par des prières ou des offrandes, il s’agit plutôt de  se les  concilieer par  des procédés magiques. Cette contrainte qu’ils exercent sur leurs esprits se porte aussi sur des  objets animés ou inanimés qu'ils s'efforcent  d’influencer en leur faveur, un « esprit »ami étant un allié à fréquenter. Les rites reposent sur croyance en la vertu mystique de certains  charmes, de certaines danses et sur le pouvoir inhérent à la « voix » des hochets, au son du  tambour et aux mélopées humaines.

S'agit-il de multiplier les poissons? On danse et  on chante sur la grève autour d'un poisson.

Veut-on hâter la fermentation de la bière de caroube? Quelques individus dévoués passent la nuit à chan­ter et à secouer leurs hochets au-dessus du liquide. Enfin, un Indien se sent-il inquiet à la suite d'un mauvais présage, s'est-il réveillé après un cauchemar? Il saisit ce même hochet et, pendant une heure ou deux, il l'agite en entonnant une sorte de complainte rauque Les ethnologues ont toujours eu du mal à distinguer danses magiques et danses récréatives. Certains ballets auxquels les Indiens prennent grand plaisir ont, en plus, des vertus prophylac­tiques censées préserver le groupe de tous les maux.

 

                                                          

La nuit est souvent agitée dans les MALOCA (grandes maisons), il n'est pas rare, alors que certains se reposent, que d'autres s'amusent, dansent, et qu'un chaman traite un malade. Il mène, seul, une bataille contre les invisibles, extirpant le mal en l'aspirant à sa source même et en le recrachant dans un grand bruit qu'accompagnent des gestes d'éloignement. Plongés parfois artificiellement dans un état de torpeur, les chamans, libérés par la drogue, se transforment, disent-ils, en oiseau ou en jaguar pour aller attaquer les esprits hostiles. Il n'y a pas chez les Indiens de distinction très nette entre les songes et la réalité ou, plus exactement, ils attribuent aux rêves un caractère d'authenticité .

 

Le chamanisme est, avec les rites funéraires et guerriers un des piliers culturels de la société yanomami. Les sessions chamaniques, individuelles ou collectives, y constituent une activité aussi régulière que spectaculaire. la plupart des maisons collectives comptent plu­sieurs chamans –

On dit qu'un futur chaman est habité dès l'enfance par des rêves étranges induits par le regard des esprits posé sur lui.

Il devra alors, devenu adulte, apprendre à les voir et à les appeler. L'initiation des chamans yanomami est à la  fois douloureuse et extatique. Ils inhalent durant plusieurs semaines, jour après jour, un puissant hallucinogène la poudre yâkoana. Durant cette transe, leur corps est mis en pièces, lavé et orné par les esprits xapiripë, avant d'être retourné et recomposé. Ils apprennent alors, sous la conduite des anciens, à «répondre» aux chants des xapiripè et à les enrôler à titre d'esprits auxiliaires. Les xapiripë se présentent sous la forme d'humanoïdes miniatures, couverts d'ornements cérémoniels intensément  colorés et lumineux. Leurs danses de présentation, accom­pagnées de clameurs et de chants, font écho à l'arrivée bruyante et joyeuse des cohortes d'invités lors des grandes fêtes intercommunautaires (à la fois cérémonies d'al­liance et rites funéraires). Ces esprits sont en majorité les « images » des ancêtres animaux (yaroripë) du temps des origines (et non des animaux actuels).

 

 

 

La plupart des «images-esprits» xapiripë sont ainsi des Mammifères, des oiseaux, des reptiles, des batraciens, des poissons, des crustacés ou des insectes. Il existe, par ailleurs, des images-esprits des arbres, des feuilles, des lianes, des miels sauvages, des eaux, des pierres et des rapides. Les chamans invoquent aussi les images-esprits de nombreux personnages mythologiques (animaux) et entités cosmiques (soleil, lune, tempête, tonnerre, éclairs), sans oublier quelques humbles xapiripë domestiques, comme ceux du chien, du feu ou des poteries de cuisine. Il existe aussi des ancêtres des blancs.

                                                    

Les chamans déclarent que sous l'effet de la poudre yâkoana - «nourriture des esprits » leurs yeux «meurent». Ils entrent alors dans un état de transe vision­naire au cours duquel ils «appellent», «font descendre» et «font danser» les images-esprits xapiripë qu'ils ont acquis durant leur initiation. À partir de ce moment se met en place un processus d'identification entre les esprits et leur «père», le chaman. Ce dernier incorpore tour à tour chacun de ceux qu'il convoque en imitant son chant et sa choré­graphie. En yanomami, on désigne ainsi les chamans par «les gens esprits», et la conduite d'une séance chamanique par le verbe xapirimu, «agir/se comporter en esprit».  

 

 

«Les xapiripë sont les images des ancêtres qui se sont transformés au premier temps. C'est là leur  véritable nom. Vous les nommez esprits, mais ils sont autres. Ils sont venus à l'existence lorsque la forêt  était encore jeune. Les anciens chamans les font danser depuis toujours, comme nous continuons à faire aujourd'hui. Lorsque le soleil monte dans le ciel, les xapiripë dorment. Lorsqu'il commence à  descendre, l'après-midi, pour eux, l'aube commence à poindre. Ils se réveillent alors tous, innombrables  dans la forêt. Notre nuit est pour eux le jour. Lorsque nous dormons, ils s'amusent et dansent. Les xapiripë «ressemblent aux êtres humains Seuls les chamans peuvent les voir. Ils sont minuscules, comme des poussières  lumineuses. Ils sont invisibles aux gens du commun et à leurs yeux de revenants Ils travaillent avec beaucoup force et leur pensée est très droite…

…Cependant ils peuvent aussi se montrer très agressifs, c'est pourquoi, parfois, nous les craigne Si l'on se comporte mal avec eux, il leur arrive de tuer. Ils sont aussi capables de dévaster les arbres la forêt sur leur passage et même de découper le ciel, aussi immense soit-il…

Il faut boire (inhaler) la poudre yâkoana pendant longtemps pour voir véritablement les xapiripë .les anciens chamans doivent alors te les transmettre. Cela prend beaucoup de temps. Autant qu'il vous faut pour apprendre les dessins de vos paroles. Cependant, lorsque je fais danser les xapiripë, Blancs me disent parfois: "On ne voit rien! Tu ne fais que chanter seul! Où sont donc tes esprits?" C’est  que leur pensée est bouchée.

 

Tous les êtres de la forêt ont une image utupë. Ce sont elles que les chamans appellent et font descendre. Ce sont elles qui font leur danse de présentation en devenant esprits xapiripë. Elles sont le véritable cœur, le véritable intérieur des animaux de la forêt. Ce sont elles les vrais animaux, pas le gibier que nous mangeons. Les gens du commun ne les voient pas, seuls les chamans le peuvent.

                                                                                                                                                                                                                                            

 

Vous diriez que ces images sont les «représentants» des animaux. Elles sont comme des sortes photographies. Ainsi, le singe hurleur que l'on flèche dans les arbres est autre que son image que le chaman fait descendre comme Irori, « l'esprit singe hurleur ». Ces images du gibier sont aiment très belles. Ce sont elles qui dansent comme les invités durant les fêtes. Comparés à elles, les  animaux de la forêt sont laids. Ils existent, sans plus. Ils ne font qu'imiter leurs images. Ils ne sont que  nourriture des humains…. Ces images du gibier que font danser les chamans, ce ne sont pas celles des animaux d'aujourd'hui. Ce sont celles des pères des animaux, des premiers à être venus à l'existence…

 « C'est ainsi. Au premier temps, lorsque la forêt était encore jeune, nos êtres, qui étaient des êtres humains avec des noms d'animaux, se sont métamorphosés en gibier. nomumi pécaris, ils sont devenus pécaris; Yanomami cervidés, ils sont devenus cervidés ; Yanomami aras, ils sont devenus aras. Ils ont pris la forme des pécaris, ; cervidés, des agoutis et des aras qui habitent la forêt aujourd'hui. Ce sont ces ancêtres transformés que nous chassons et que nous mangeons. Au premier temps, tous les animaux étaient des Yanomami. Les images qui dansent pour nous comme xapiripë, ce sont celles de ces ancêtres transformés en animaux. Elles  sont leur vrai cœur, leur véritable intérieur. Et c'est cette forme des gens métamorphosés  au premier temps que nous faisons descendre et danser. Les ancêtres animaux du premier n'ont pas disparu. Ce sont de véritables anciens. Ils se sont métamorphosés en gibier il y a très longtemps  mais leurs fantômes existent encore. Ils portent le nom des animaux, mais ce sont des êtres  qui ne meurent jamais. L'épidémie a beau essayer de les brûler et de les dévorer, ils ne disparaitront pas… »

                                                                           

« Les paroles des xapiripë sont aussi innombrables qu'eux, et nous, Yanomami, nous les transmettons depuis très longtemps, depuis que Omama nous a créés. Je les ai écoutées depuis mon enfance, et, aujourd'hui, devenu mari, les paroles augmentent de nouveau en moi. Plus tard, je les donnerai à mon fils. Il ne les connaît pas  encore, cependant, il les écoute déjà et, s'il devient chaman, il les fera croître en lui à son tour. C'est de cette façon que les paroles des xapiripë ne cessent jamais de se renouveler. Les jeunes gens deviennent chamans après les anciens et font de nouveau descendre l'image d’ Omama et des ancêtres animaux. Les paroles des esprits ne se perdent jamais. Elles ne font que se multiplier de chaman en chaman.  L’histoire n'a pas de fin. Nous imitons aujourd'hui ce qu'Omama a enseigné au premier temps. Ses paroles demeurent auprès de nous, c'est pourquoi nous continuons à faire danser les xapiripë. Leurs paroles sont très anciennes, mais elles sont toujours aussi neuves. Les esprits les renouvellent sans cesse en  nous. Nous n'avons pas besoin de les dessiner sur des peaux de papier. Leur papier est dans notre pensée  qui est devenue aussi longue qu'un très grand livre sans fin

. »

davi  kopenawa.chaman yanomami… extrait de yanomami l’esprit de la foret.fondation cartier pour l'art contemporain.

 

                                                                 

Après son initiation, les esprits auxiliaires d'un chaman (ses «fils») résident dans une maison collective, fixée au-dessus de lui, dans «la poitrine du ciel». C'est de là qu'il les «appelle» et les «fait descendre» en fonction de l'usage qu'il veut faire de leurs armes et de leurs pouvoirs dans ses sessions chamaniques. Par ailleurs, à chaque image-esprit que «font danser» les chamans correspond une myriade de ses avatars mise en abyme comme dans une multitude de miroirs.

Ce pouvoir de convocation et d'incorporation des images originelles - à titre d'esprits auxiliaires - donne aux chamans un rôle central dans la protection de leur com­munauté. Remparts contre le pouvoir pathogène des altérités humaines et non-humaines qui menacent ses membres, ils sont d'infatigables guerriers et négociateurs de l'invisible, voués à réguler ou à contrer l'action des entités et des forces cosmologiques qui peuvent affecter la bonne marche de l'univers et la sécurité des humains. Ils contrôlent ainsi la fureur des tonnerres et des tempêtes la régularité de l'alternance des jours et des saisons, l'abondance du gibier, la fertilité des plantations et de la forêt. Ils soutiennent le ciel pour prévenir sa chute, ils éloignent ou combattent les prédateurs surnaturels, résistent aux incursions des esprits chamaniques ennemis, et, enfin et surtout, soignent les malades, victimes de la malfaisance humaine (sorcellerie, chamanisme guerrier agressions des doubles animaux) ou non-humains (prédation des esprits maléfiques). » Les chamans peuvent aussi faire danser l'image des êtres maléfiques ne wâripë qui vivent dans la forêt et nous y dévorent comme du gibier. Ainsi en est-il de l'esprit de la chaleur, qui s'attaque aux humains lorsqu'ils pèchent à la nivrée durant la décrue51, de l'esprit du soir qui vole le principe vital des enfants jouant tardivement hors des maisons, de l'esprit anaconda qui copule avec les femmes et les fait avorter et mourir, ou de l'esprit spectre qui possède le curare. »

                                                                              

Dans la cure, les chamans incorporent en premier lieu les esprits auxiliaires susceptibles d'identifier les «traces» des entités qui sont à l'origine de la maladie traitée, consi­dérée comme une altération de l'«image vitale» du patient. Ils recherchent ainsi les objets et substances pathogènes abandonnés dans son «corps intérieur»). Puis, mobi­lisant d'autres esprits, ils s'efforcent d'extraire ces objets et substances et de réparer leurs effets délétères en neutrali­sant leur principe pathogénique). Objets et substances pathogènes extraits du corps du malade sont ensuite lancés dans le monde souterrain, où ils sont dévorés par les ancê­tres cannibales de la première humanité).

Enfin, lorsque la maladie est imputée à une blessure du double animal à une agression chamanique ennemie ou à une capture de l'image vitale (utupë) par un esprit de la forêt, les chamans - devenus « esprits » entrent en scène dans un drame théâtral et épique, entrepris contre les agresseurs   pour assurer le sauvetage de la personne du patient .

Le chamanisme yanomami constitue un dispositif de décryptage de la réalité visible et d'intervention sur ses mécanismes sous-jacents. À cette fin, les chamans doivent dépasser la différenciation des êtres de l'univers en donnant corps tour à tour à leurs images/essences origi­nelles (utupe). Ce processus d'incorporation leur permet d’endosser   la subjectivité - de toutes les catégories d'existants, humains ou non-humains (ancêtres, animaux, entités cosmologiques, esprits maléfiques, spectres, étrangers, etc.). Le rituel chamanique devient ainsi une scène ontologique virtuelle,  un theatre  où se rencontrent, se recombinent et se maitrisent l'ensemble des altérités du cosmos et où le chaman, «devenant autre», officie  et rétablît l’ordre.

                                                                   

 

 

Comment restituer  cet invisible familier au seul indien , comment faire que nos  « yeux  meurent » et  que « descendent et dansent » les « images » .si ce n’est grâce à  une entreprise qui mêle, à travers la photographie , regard ethnographique et  œuvre d’art, comme celle de la photographe brésilienne claudia andujar.

Celle-ci découvre les yanomami vers les années 1970 et cette rencontre lui fit abandonner

sa carrière de photojournaliste pour se consacrer à ce peuple. Claudia Andujar séjourna ainsi à de nombreuses et longues reprises avec les Yanomami et accompagna en photographie leur quotidien durant près de trente ans. Elle eut à compter avec la dictature militaire qui l’interdit de séjour plusieurs fois  . Portraits, scènes de vie, cérémonies chamaniques constituent un ouvrage fascinant :yanomami, la danse des images. Cette monographie retrace après une sorte d’état premier , la rencontre avec le monde dit civilisé puis la fracture que celle-ci a engendré notamment avec le projet de construction de la route Perimetral Norte et l’invasion du territoire Yanomami par les chercheurs d’or dans les années 80. Claudia Andujar a milité dès le début pour une reconnaissance du territoire des Yanomami qu’un décret présidentiel a rendu officielle en 1992. Co-fondatrice en 1978 de l’organisation non gouvernementale CCPY (Commmittee for the Creation of a Yanomami Park), elle a travaillé au développement de programmes de santé et à un projet d’éducation bilingue yanomami-portugais à la demande des Yanomami .

 

Comment comprendre les réactions des gens et le climat des impressionnantes cérémonies chamaniques ? comment obtenir des images nettes dans cet environnement nocturne éclairé uniquement par des feux ? Pour surmonter le premier obstacle, nous apprend alvaro machado, la photographe prend le parti extrême d'inhaler une seule fois, dans la solitude et le secret, le mélange hallucinogène consommé lors de ces rituels : la poudre yakoana extraite de végétaux.

L'ingestion de yakoana lors des rituels est collective, des garçons âgés de cinq ans y participent également. Les Yanomami considèrent en effet que cela fait partie de leur éducation. Les femmes participent également aux cérémonies, mais à quelques exceptions près sans inhaler la poudre. [...]

« Généralement la première réaction — non seulement chez moi mais aussi chez les Indiens —provoque une surexcita­tion incontrôlable. J'ai cru que j'allais devenir folle et j'ai eu envie de grimper aux murs — une sensation très dés­agréable. Mais ensuite, on entre dans un voyage. Etendu sur le sol, on ne bouge plus. On a l'impression de ne plus posséder de corps physique et de devenir un être universel, comme si l'existence se poursuivait en dehors du corps. Les Indiens interprètent cet état comme le déplacement du principe vital de l'individu, le pore, celui-là même qui abandonne le corps au moment de la mort. | Comme je n'ai pas grandi parmi cette culture, je me sentais seulement comme flottant dans l'air, en état de grace »

Grâce à cette immersion, elle met en place des moyens techniques qui, dans une certaine mesure, l'aident à exprimer dans le domaine du visible les nombreuses dimensions chamaniques. Elle emporte un éclairage artificiel pour reproduire les effets proches de la description des chamans sur les lumières des esprits, esprits qu'ils disent venir des cieux et qu'elle pourra alors visualiser à son tour. Elle opte pour des lanternes au kérosène qu'elle pourra facilement disposer à l'intérieur de la maloca. Comme elle connaît déjà les participants, ce dispositif lui permettra d'interpréter en images les états mentaux altérés.

                                                                  

 

En découvrant les photos aux lumières oscillantes réalisées durant ces rituels, certains anthropologues les rangent difficilement dans une catégorie, affirmant qu'il ne s'agit ni de science ni d'art. À leur tour, les photographes et les critiques l'art, étrangers au contexte culturel, se raccrochent à des détails techniques. Très différente est la réaction des yanomami, lorsque dans les années 1980, Claudia peut finalement leur présenter le résultat de son travail. Les images de la transe rituelle qui est un aspect essentiel de leur culture sont plus que n'importe quelles autres particulièrement appréciées. En les  contemplant longuement, les chamans se lancent dans le longs discours, plongeant dans leur mémoire orale et visuelle afin de recouvrer dans le flux des mots l'univers du rêve.

alvaro machado, yanomami, la danse des images

 

                                                    

 

Elle fit la rencontre de davi kopenawa le chaman qui devint son ami, une fois surmontée  la méfiance de l’indien devant le vol de l’image(et de l’âme) que pourrait comporter la pratique du photographe. C'est pourquoi, à l'inverse d'autres photographes qui s'aventureront plus tard dans la région, elle a toujours respecté la volonté de l'ethnie de ne pas perpétuer sous forme d'images des instants de fragilité ou de maladie. Elle ne photographiera jamais les malades et encore moins les rites funéraires, les crémations ou les corps sans vie.

 

J'ai fait la connaissance de Claudia à cause des photos quelle prenait. Après [au début des années 19807,) je l'ai rencontrée à Boa Vista alors qu'elle discutait avec des gens qui voulaient nous aider : [les anthropologues, Alcida Ramos et  Bruce Albert] et quelques autres. Ils s'étaient rendus auprès du gouvernement pour savoir pourquoi on avait construit la route à l'intérieur de nos terres après la mort de nombreuses personnes. Je voyais encore à court terme et je ne connaissais pas bien l'homme blanc ; je n'en connaissais que des bribes. Mais Claudia connaissait la violence du Blanc et cherchait un moyen de nous aider. Pour nous, elle a été comme un message pour voir plus loin et voir l'invasion de notre terre : d'abord par les grileiros, puis par les madeireiros ou forestiers, les garimpeiros et enfin par la route. Elle m'a dit quelle voulait lutter pour mon peuple, nous protéger contre les politiciens de l'État qui voulaient le bois et les autres ressources de nos terres. Je l'ai crue et je suis devenu ami avec elle, Carlo et Bruce qui parlaient déjà la langue Yanomam''.

 

J’ai vu Claudia prendre beaucoup de photos des Yanomami : des villages, des fêtes, des gens qui chantaient et dansaient, pratiquaient le xapurimu (chamanisme)... C'est notre amie, et si elle trouvait ça bien, nous aussi. Les photos existent pour que les Blancs les regardent et pour des livres comme celui que vous faites. La photo n'est pas bonne car tant que la personne photographiée est forte, en bonne santé, tout va bien, mais lorsqu'elle tombe malade et quelle meurt, la photo est malade à son tour. Et, en regardant les photos des parents décédés, ma famille (tous les Yanomami ou tous les Indiens) devient triste de colère et malade du souvenir de ceux qui sont morts. Alors, il faut déchirer les photos pour oublier. [...]davi kopenawa cité dans yanomami, la danse des images.

 

                                                                   

 

 

 

LES PHOTOS SONT DE CLAUDIA ANDUJAR.CF L'OUVRAGE CITE: YANAMONI LA DANSE DES IMAGES.

http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2010/02/etres-et-chemins-du-revesuite.html



20/11/2010
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