Pure Performance Mountain Riding

La spiritualité de la montagne

La spiritualité de la montagne


 

        Depuis plus de trente ans, la communauté du Grand-Saint-Bernard réalise une expérience pastorale nouvelle à travers la pratique de l'alpinisme. Rejoignant l'homme dans cette école de vie que constitue le face à face avec la montagne, elle l'invite à l'ascension du plus haut «sommet» qui est le Christ.

 

Longtemps, l'immense chaîne rocheuse des Alpes fut ignorée de la grande majorité des populations, fuyant ces monts affreux et ces sombres vallées habitées par des démons. Là s'établirent des chasseurs, des paysans à la recherche de terres libres, des bandits et des proscrits, des moines en quête de solitude. D'autres s'y aventurèrent par nécessité de devoir franchir l'arc alpin coupant en deux l'Europe. Et puis brusquement la situation changea. La première ascension du Mont-Blanc en 1786 donna le signal de la conquête des Alpes. La nouvelle société industrielle des villes partit à la découverte de cet univers oublié. La montagne devint le lieu d'une intense activité.

L'homme face à la montagne

Qu'est-ce qui pousse tant d'hommes et de femmes à gagner cet univers hier si redouté ? L'écrivain-alpiniste Samivel situe l'alpinisme dans la ligne de la croissance humaine qui s'exprime essentiellement en termes d'ascension; l'être humain est engagé dans une montée physique, culturelle, sociale, spirituelle. L'affirmation de la personnalité de l'enfant passe nécessairement par l'affrontement à la réalité extérieure et pour beaucoup les montagnes se présentent comme l'obstacle-type à surmonter. Plus tard, cet affrontement se déplacera vers d'autres buts professionnels ou sociaux. Ceux qui restent fidèles à la montagne le sont généralement par cette passion que Samivel appelle «euphorie ascensionnelle», ce sentiment de transcendance lié à la convergence des lignes vers les cimes, au silence, à l'apparence d'immobilité...

L'attrait de l'univers alpin ne s'exerce pas uniquement sur l'alpiniste. Pour beaucoup, la montagne apparaît comme un lieu de ressourcement corporel et spirituel. Dans un monde souffrant de multiples pollutions - fumées, bruit, stress, laideur... - la montagne représente une véritable fontaine de jouvence: réservoir d'air pur, revitalisant tout le métabolisme humain; réservoir de calme, évitant à l'homme l'engloutissement dans le flot tumultueux de la vie; réservoir de beauté, offrant un exutoire à la recherche esthétique que la grisaille de nos villes a oubliée.

La montagne attire, mais on ne s'y installe pas. Elle nous renvoie à notre vie, non sans nous avoir auparavant donné quelques leçons d'existence. Elle se veut tout d'abord école de volonté et de courage nous apprenant à surmonter les difficultés et le découragement, et école d'humilité et de sagesse nous invitant à reconnaître nos faiblesses. Le monde alpin apparaît également comme une école de vie sociale. En tant qu'aventure communautaire, il développe le sens de la solidarité, de l'attention à l'autre, de la responsabilité, de la fraternité, de la confiance. Il se présente donc comme un lieu particulièrement approprié à l'éducation humaine.

Dieu sur les montagnes

La montagne se révèle aussi comme le lieu de la découverte d'une présence particulière, celle du divin. On touche ici à l'achèvement de l'homme avec sa dimension spirituelle. Le monde des hauteurs, avec ses phénomènes grandioses et parfois terrifiants, invite à regarder le ciel. Pour cela il a occupé une place importante dans l'histoire religieuse du monde.

Le symbolisme de la montagne exprime différentes réalités de l'imaginaire religieux. La montagne sacrée, véritable sommet du monde, constitue le point de contact entre la divinité qui descend de son séjour élevé et l'homme qui monte à sa rencontre. Ce symbolisme est si fort que dans certaines régions de plaines on a élevé de véritables montagnes artificielles (ziggourats, pyramides, stupas...). La montagne sacrée constitue l'axis mundi autour duquel s'organise le monde. Tels sont l'Aborj en Iran, le Garizim des Samaritains, le Fuji Yama au Japon; ou encore Angkor-Thom, la ville-temple-montagne des Khmers, la Ka'aba de la tradition musulmane. Une autre expression religieuse fait de la montagne la divinité, tel le Chomo Lungma, Déesse-Mère des Neiges. Enfin, en Grèce, chez les Lapons et au Hoggar, les montagnes constituent le séjour des dieux, lieux combien redoutés.

La montagne tient également un rôle prédominant dans la Bible. Sur l'Horeb (Sinaï) Dieu conclut une Alliance avec Moïse et le peuple élu. Le souvenir de l'événement du Sinaï va accompagner le peuple jusqu'en Terre Sainte. Sur les hauts lieux, les Hébreux sacrifient en l'honneur de Dieu. Puis, par souci de centralisation, Jérusalem devint l'unique centre religieux des Hébreux. Centre du monde et cité du vrai Dieu, Jérusalem est la montagne-axe se dressant sur la route des hommes montant vers Dieu. Ce symbolisme de la montagne qui traverse tout l'Ancien Testament disparaît presque totalement du Nouveau Testament. La seule hauteur où le chrétien doit arrêter son regard est le rocher du Calvaire sur lequel s'élève la croix du Christ, axe véritable du monde, passage obligé de la Jérusalem terrestre à la Jérusalem céleste.

Dans un monde gagné par l'indifférence religieuse, la montagne apparaît comme un chemin possible pour retrouver Dieu, à la condition que l'homme ne prenne pas la place de Dieu en se faisant le dieu des cimes. Dans le silence et la solitude, le coeur attentif et dépouillé, l'homme se fait disponible et retrouve sa vraie liberté. Il a désormais la place pour un autre et cet autre peut être Dieu. Une fois l'alliance avec Dieu rétablie, la montagne devient école de vie chrétienne. Elle va inspirer dans les coeurs l'audace et l'engagement, la solidarité, le renoncement, l'humilité, la louange et la contemplation, toutes attitudes contribuant à la grandeur de la vocation chrétienne.

Sur la route des hommes, la communauté du Grand-Saint-Bernard

La montagne se présente donc riche de signification tant au plan humain que spirituel. Pour celui qui sait l'apprivoiser elle est une véritable école de vie chrétienne. Une certaine expérience alpine - qui va au-delà de la recherche de l'exploit pur - trouve ainsi sa place dans la vie pastorale de l'Eglise. C'est ce qu'ont compris ces prêtres et animateurs pastoraux qui çà et là à travers les Alpes invitent les chrétiens à une démarche spirituelle différente et audacieuse. Ce nouveau champ pastoral sera exploité d'une manière toute particulière par une communauté présente par vocation au coeur de la montagne : la Congrégation des Chanoines Réguliers du Grand-Saint-Bernard.

Depuis plus de 900 ans, l'hospice du Grand-Saint-Bernard se dresse sur la route des hommes, offrant l'hospitalité aux voyageurs traversant les Alpes. Avec la percée des grands tunnels alpins au milieu de ce siècle, son rôle déclina rapidement. Pour redonner vie à ces lieux chargés d'histoire, le chanoine Gratien Volluz (prêtre-guide) partit de la conviction que l'hospitalité ne s'arrête pas à héberger et à nourrir des personnes, mais à aller au-devant de l'homme tout entier avec ses questions et ses doutes, ses joies et ses peines. L'hospice serait pour le passant lieu d'accueil, de spiritualité, de silence et de prière. Le chanoine Volluz ira encore plus loin dans sa réflexion: il ne suffit pas d'être témoins sur la route des hommes. Il faut inviter à se «désinstaller» ceux que paralysent le confort de la vie moderne, montrer la route à ceux qui sont déboussolés, cheminer avec ceux qui cherchent un sens à leur vie.

Pour Gratien Volluz, l'aventure chrétienne se définit en effet d'une manière symbolique, à l'image de l'expérience alpine, comme une ascension vers ce Sommet qui est le Christ. Cela va se concrétiser à travers une nouvelle pastorale en montagne. Pèlerinages alpins, semaines d'alpinisme, camps de ski, retraites spirituelles rassemblent les nouveaux pèlerins du XXème siècle dans les hospices du Grand-Saint-Bernard et du Simplon. Gratien Volluz y consacre toutes ses forces. Pourtant son «ascension» touche bientôt à sa fin. Il meurt dans un accident de montagne en 1966 à l'âge de 37 ans. Passé le choc de l'événement, la communauté des Chanoines du Grand-Saint-Bernard reprendra en mains l'oeuvre inachevée. Aujourd'hui, 28 ans plus tard, les deux hospices sont entièrement consacrés à ce nouvel apostolat, perpétuant la tradition d'hospitalité sur la route des hommes voulue par saint Bernard de Montjoux. Un souci tout particulier est accordé à la jeunesse. Dans un monde où les jeunes étouffent dans la facilité, l'oisiveté et les plaisirs faciles, la montagne apparaît comme un moyen pédagogique à même de toucher une jeunesse souvent réfractaire à tout enseignement moral ou religieux.

Considérées autrefois comme des lieux terrifiants où l'on se rendait par nécessité, les hauteurs alpines sont devenues des refuges dans un monde qui tend à étouffer l'homme. Ce mouvement de retour à la nature, que l'on retrouve ailleurs, traduit un besoin de retrouver les valeurs essentielles et premières de la vie. L'Eglise se doit de prendre en compte cette réalité en étant elle-même au coeur de ces nouveaux exodes. Elle ne peut se contenter de regarder passer la caravane humaine ou de gémir sur ceux qui délaissent l'assemblée dominicale pour monter sur les hauteurs. Elle sera marcheur avec les marcheurs pour témoigner de ce Dieu qui les rejoint dans le quotidien de leur vie. Et elle sera guide pour éviter que ce retour à la montagne ne les conduise vers l'impasse d'un naturalisme. Le chemin de la montagne, riche de symbolisme, deviendra ainsi chemin vers cet autre sommet qui est le Christ.

     Raymond Gay    Dipl. théol.

 



01/11/2010
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