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Tous rationalisés G.Ritzer

Certes, l’analyse de Georges Ritzer en elle-même ne manque pas d’intérêt. Il analyse les caractéristiques de la Mc Donaldization, qu’il présente comme une extension et une généralisation du Taylorisme et du Fordisme. Ces caractéristiques sont l’efficacité, la quantification (et son corollaire, la négligence de la qualité), la prévisibilité (le Big mac est toujours égal à lui-même) et le contrôle (le contrôle des processus, des individus et des organisations étant de plus en plus assuré par des technologies non humaines – comme les caméras de surveillance – au détriment des technologies humaines – le contremaître). Reprenant les analyses développées par Max Weber au sujet de la bureaucratie (in Economie et société, 1921), Georges Ritzer montre que la Mc Donaldization correspond elle aussi à une " cage de fer de la rationalité ".

" Weber prévoyait une société où, verrouillés dans une série de structures rationnelles, les hommes ne pourraient plus faire autre chose que de passer d’un système rationalisé à un autre. Ils passeraient du système éducatif rationalisé au système de travail rationalisé, de loisirs rationalisés à leurs foyers rationalisés. La société ne serait plus qu’un réseau de structures rationalisées, dépourvu de sens et auquel il n’y aurait aucune issue ".

La cage de fer de la rationalité impose aux individus des moyens prédéfinis pour aboutir à un objectif donné. C’est le voyage organisé pour faire le tour de l’Europe en 10 jours et en car climatisé. C’est le terrain de camping en bord de la Nationale pour passer des vacances à la nature. C’est la banlieue pavillonnaire offrant le confort moderne plus la réminiscence de notre passé rural (la cheminée, le petit jardin, le puit en pneu et les nains). Le monde étant entièrement colonisé et formaté par les mouvements économiques, sociaux et culturels dominants, il y a de moins en moins de place pour l’accomplissement de projets originaux.

Assez justement, l’auteur constate que le monde Mc Donaldizé conduit le consommateur à réaliser un nombre croissant de tâches pour le producteur. C’est la cas du client d’un fast-food : il fait la queue, paie au comptoir, débarrasse son plateau à la fin du repas. Personnellement, ce type d’évolution ne me gêne pas. J’aime bien les saladeries où on conçoit sa propre assiette à partir de diverses corbeilles d’aliments. j’aime bien me servir à la pompe à essence. Tant qu’on ne nous demande pas de passer derrière l’étal du boucher pour découper nous mêmes les steaks, cette participation m’amuse. Elle conduit à réaliser des gestes qui sortent des attributions professionnelles ou sociales.

Malgré quelques bons passage, l’exposé de Ritzer est gâté par une pratique constante de l’amalgame et de la généralisation. Condamner sans mesure la prévisibilité est exagéré. La prévisibilité matérielle est une conditions formelle de la liberté d’esprit. Le salariat, les transports en communs et le service après-vente de Darty laissent nos vie se dérouler sans avoir à concentrer toute notre énergie sur les conditions de notre survie. En outre, prévisibilité n’est pas forcément synonyme d’uniformité. Quand on descend à l’hôtel des philosophes, à Amsterdam, on peut être certain d’être bien reçus. On ne sait pas, en revanche, quelle chambre on trouvera. Chacune porte le nom d’un philosophe ; chacune est décorée de façon particulière. Certaines chambres donnent sur un jardin, d’autres sur la rue. L’hôtel des philosophes n’est pas le Formule 1. La prévisibilité peut correspondre à une assurance qualité, à une garantie de convivialité ou à mille autres choses. Elle n’est pas a priori un carcan ou un décor de zone commerciale.

Dans son réquisitoire contre la prévisibilité, l’auteur inclut la médecine moderne. Il constate que " l’art médical " (ça gratouille ou ça chatouille ?) cède la place à des méthodes de prise en charge de plus en plus sophistiquées, normées et documentées. Qui s’en plaindrait ? Carrément limite, l’auteur se plaint de voir disparaître le mystère qui entourait jusqu’à il y peu la naissance, l’acte sexuel et le reste. Il s’offusque notamment de l’apparition de technologies permettant de répondre au " problème de l’impuissance masculine ". Il dérape et parle de GAO (Grossesse Assistée par Ordinateur) pour marquer son dégoût envers les femmes qui choisissent d’avoir un enfant sur le tard ou les parents qui choisissent l’avortement lorsque l’écographie révèle une malformation du fœtus. Cette logorrhée extrémiste se poursuit avec l’évocation des " bébés design " que permettrait la génomique. On touche là le fond de la bêtise (on a rarement écrit autant de conneries sur la génétique en aussi peu de lignes), de la mauvaise foie et du conservatisme. Choisissant définitivement son camp, l’auteur finit par condamner l’avortement :

" Les couples, la procréation seront toujours plus affectés et contrôlés par des technologies non humaines. Fini les conseils du médecin ou les recommandations du curé (sic), le test aura seul voix au chapitre ".

L’auteur dénigre également les loisirs répétitifs. Il regrette par exemple que les studios hollywoodiens réutilisent si souvent certaines formules à succès (cf. La guerre des étoiles). Bon, on peut difficilement vouloir défendre Mary à tout prix ou les Spice girls pour donner tort à l’auteur. On se contentera donc de remarquer que la répétition d’un thème artistique ou la déclinaison d’une œuvre peuvent parfaitement correspondre à une démarche esthétique véritable. Ce n’est pas forcément du " copier-coller " pour prime-time. L’auteur estime que le public raffole des films produits par les majors parce qu’ils lui offre un cadre familier, des personnages et des situations connues. L’analyse est pour le moins sommaire. Les sociologues des médias ont souvent eu l’occasion de montrer combien il était difficile pour des individus enfermés dans un " monde auto-référentiel " de s’extraire des normes qui leur sont imposées pour découvrir d’autres mondes musicaux, littéraires ou cinématographiques. Sans faire l’éloge de la ménagère de moins de 50 ans, il faut au moins un peu d‘indulgence pour le grand public, conditionné par les sollicitations en faveur de sous-produits culturels.

N’est pas médiologue qui veut. Sur ce terrain, on préférera lire les analyses enjouées et originales d’Umberto Ecco. (cf. par exemple l’article Innovation et répétition : entre esthétique moderne et post-moderne, paru dans la revue Réseaux, n°68, nov. 94). Umberto Ecco y délivre une analyse subtile de la redondance dans les mass media, catégorisant les différents procédés narratifs utilisés dans le genre audio-visuels, du retake au dialogue en passant par le remake, la série ou la saga. S’arrêtant un instant sur l’exemple de Colombo, il montre comment la série repose sur la variabilité autant que sur la répétition. C’est le jeu combiné de ces deux ingrédients qui font le succès populaire et esthétique de la série. En somme, on apprécie autant les variations apportées dans les scénarios de meurtre que la familiarité du détective, dont on prévoit à chaque épisode qu’il saura malgré son air emprunté amener le suspect à commettre un faux pas. Chaque épisode étant tourné par un réalisateur différent, la dialectique répétition/modifications est portée sur le terrain stylistique. Le schéma dramatique reste toujours le même (embrouille, meurtre, arrivée de Colombo, enquête, dénouement) mais chaque épisode comporte une touche unique. Certains épisodes contiennent des passages psychédéliques quand d’autres restent froids comme le marbre. Certains se déroulent au soleil, dans la tradition de la tragédie grecque tandis que d’autres se déroulent la nuit, faisant référence à nos peurs intimes. Comme le premier quart d’heure se déroule presque toujours sans Colombo, la série provoque en outre une attente chez le téléspectateur, et l’entrée en scène de l’inspecteur constitue toujours un moment unique. La mise en scène de ses apparitions peut être déclinée à l’infini tant elle peut s’inscrire dans une multitude de contextes, d’ambiances, de moments et d’humeurs différents. Dans ce dialogue entre innovation et répétition, les éléments sont particulièrement difficiles à délacer. L’innovation est dans la répétition et inversement. Les scènes où Colombo arrive sur les lieux du crime sont très souvent ponctuées d’un quiproquo où un flic intervient pour empêcher Colombo de garer sa caisse pourrie à proximité du lieu, avant de se raviser en comprenant qu’il a affaire à un officier de police. On ne s’en lasse pas.

Bref, Colombo n’est pas Mc Do. A mélanger les torchons avec les serviettes, on peut se prendre les pieds dans le tapis. A force de vouloir faire œuvre d’historien, d’économiste, de sociologue, de psychologue et de moraliste, Georges Ritzer finit pas montrer le visage exécrable d’un vulgarisateur pour News magazine de centre-droit, où les pensées profondes sur l’évolution de notre monde vulgaire se perdent au milieu des encarts publicitaires.

Un peu plus loin, l’auteur déplore la robotisation de la société, la multiplication de ces automates qui nous contrôlent, prennent notre travail et menacent la survie de la race humaine (" Le stade final du processus de substitution est le remplacement de l’homme par des robots "). Passons sur l’enflure des mots, qui rappelle d’autres discours paranoïaques. Ceux qui s’intéressent à la robotique préféreront lire Isaac Asimov (le cycle Les robots), qui posa dès les années 50 les bases théoriques de la cohabitation entre humains et robots, au travers des 3 Lois de la Robotique. D’autres auteurs SF et quelques informaticiens, biologistes ou sociologues ont après lui essayé de comprendre comment l’intelligence artificielle modifiait notre conception de la vie, de l’humanité et de l’intelligence. On peut donc éviter de se coltiner les propos du café du commerce en la matière. Il serait plus intéressant de s’interroger sur le modèle social à inventer pour organiser un monde où les problèmes de production ont disparu.

On en est loin. L’auteur propose certes un " programme de résistance " à la Mac Donaldization mais la rigueur du combat attendu risque de rendre difficile le recrutement de martyrs pour la Révolution proposée. L’auteur propose en fait de mettre des grains de sable dans les organisations Mac Donaldizées, de n’y recourir qu’en cas d’urgence ou d’obligation. Voici quelques attitudes proposées au lecteur désireux de rejoindre le mouvement de résistance civile :

1. Evitez les salons de coiffure franchisés, allez chez un coiffeur 

2. Evitez de manger avec vos doigts. Si vous ne pouvez pas faire autrement, préparez vos sandwiches à la maison.

3. Si vous fréquentez régulièrement Mc Donald’s, entrez en contact avec le personnel. Faites ce qui est en votre pouvoir pour humaniser l’endroit. Traînez !

4. Si vous le pouvez, évitez de vivre en appartement, en lotissement. Cherchez un environnement atypique, de préférence construit par vous, ou au moins pour vous. Si vous devez vivre en appartement ou en lotissement, humanisez, personnalisez votre cadre.

5. Au supermarché, pour réveiller l’employé de sa torpeur rationalisée, pas de carte de crédit, sortez des billets !

On est bien partis. Tremblez Coca-Cola, IBM, Toyota et autres Burger King ! ! Le consommateur est pas content et il le fait savoir. Vous aller moins rigoler quand on paiera nos tickets de loto avec de la ferraille !

 

 

 

 

 

 

 



09/07/2011
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