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Quand le gaz de schiste libère son poison

Quand le gaz de schiste libère son poison

L’extraction de ce combustible s’accompagne de risques écologiques et sanitaires passés sous silence. Le point sur la situation aux Etats-Unis.

10.03.2011 | Ian Urbina | The New York Times

 
Film

Gasland le site de ce filmSorti en janvier 2010, le film Gasland est un véritable brûlot contre l’extraction du gaz de schiste par hydrofracturation. Le réalisateur, Josh Fox, dénonce les dangers liés à cette pratique. Plus d’informations sur www.gaslandthemovie.com.

Les puits et forages pétroliers poussent comme des champignons sur le sol américain, témoins de la nouvelle ruée vers l’or du XXIe siècle – le gaz naturel. Evidemment, tout ce gaz est là depuis longtemps, emprisonné dans les profondeurs de la Terre, dans d’innombrables poches minuscules, comme autant de déversements congelés d’eau de Seltz coincés entre de fines strates de schiste [roche feuilletée]. Mais les compagnies ne disposent que depuis quelques années des techniques nécessaires pour exploiter ces gisements d’une richesse époustouflante – qui pourraient probablement satisfaire la demande en gaz pour le chauffage d’immeubles, la production d’électricité et l’alimentation de véhicules pour les cent ans à venir.

Les fournisseurs d’énergie réclament donc à cor et à cri l’autorisation de forer. Et ils trouvent un soutien inattendu auprès de leurs adversaires traditionnels. Pour les écologistes, l’exploitation du gaz naturel, plus propre que le charbon et le pétrole, contribuerait au ralentissement du changement climatique. Les autorités voient dans cet hydrocarbure de nouveaux gisements d’emplois, ainsi qu’un moyen pour les Etats-Unis de réduire leur dépendance pétrolière à l’égard des pays étrangers.

Reste que la technique de forage envisagée, relativement nouvelle, s’accompagne de risques écologiques non négligeables. La fracturation hydraulique horizontale massive, ou hydrofracturation, consiste à injecter à très haute pression de l’eau en quantités énormes, mélangée à du sable et à des produits chimiques, pour fissurer les formations rocheuses et libérer le gaz.

Un traitement inadapté

Pour chaque puits, l’hydrofracturation peut produire plus de 3,8 millions de litres d’eaux usées, souvent mêlées de sels hautement corrosifs, de substances cancérigènes comme le benzène et d’éléments radioactifs, notamment du radium, tous présents naturellement à plusieurs centaines de mètres de profondeur.

Si cette production de déchets toxiques est bien connue, des milliers de documents internes obtenus par le New York Times auprès de l’Environmental Protection Agency [EPA, agence fédérale de protection de l’environnement], d’organismes publics et de sociétés de forage montrent que les dangers écologiques et sanitaires sont bien plus grands qu’on ne l’a longtemps pensé.

Les risques sont particulièrement graves en Pennsylvanie, où les forages se sont multipliés de façon spectaculaire, avec environ 71 000 puits exploités actuellement, contre près de 36 000 en l’an 2000. La radioactivité mesurée dans les eaux usées est dans certains cas plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de fois supérieure à la limite fédérale autorisée pour l’eau potable. Certes, personne ne boit ces eaux usées, mais si cette comparaison est utilisée, c’est parce qu’il n’existe aucune véritable réglementation fédérale relative aux niveaux de radioactivité acceptables dans des eaux de forage.

Selon les autorités de Pennsylvanie, les compagnies de forage ont acheminé en 2008 et 2009 au moins la moitié de ces eaux usées vers des stations d’épuration publiques dans leur Etat. Le hic c’est que, de l’aveu même des gestionnaires, ces usines de traitement ont une capacité bien moindre d’élimination des polluants radioactifs que pour la plupart des autres substances toxiques. De fait, la majorité de ces infrastructures ne sont pas capables de ramener les taux d’éléments radioactifs à des niveaux respectant les normes fédérales pour l’eau potable avant de rejeter les eaux usées dans des cours d’eau, parfois à quelques kilomètres seulement en amont de centres de production d’eau potable.

Si la Pennsylvanie est un cas extrême, les risques liés à l’hydrofracturation touchent l’ensemble du pays. En 2009, on recensait plus de 493 000 puits de gaz naturel actifs aux Etats-Unis, soit presque deux fois plus qu’en 1990. Environ 90 % auraient eu recours à l’hydrofracturation pour libérer davantage de gaz, d’après les chiffres du secteur. Le gaz s’est infiltré dans les nappes phréatiques dans cinq Etats au moins, dont le Colorado, l’Ohio, la Pennsylvanie, le Texas et la Virginie-Occidentale. La pollution de l’air due à ces exploitations constitue elle aussi une menace grandissante. Ainsi, en 2009, le Wyoming n’a pu satisfaire aux critères de qualité de l’air pour la première fois de son histoire, entre autres à cause des émissions de benzène et de toluène de quelque 27 000 puits, pour la plupart ouverts au cours des cinq dernières années. Schéma du principe d'extraction

 

 

Selon les responsables du secteur, tout déchet en provenance des puits présentant un danger est traité conformément aux lois fédérales et des Etats. Ils ajoutent que les compagnies de forage recyclent aujourd’hui une plus grande quantité d’eaux usées ; ils précisent par ailleurs que l’hydrofracturation fait l’objet d’une réglementation rigoureuse de la part des Etats et qu’elle est utilisée depuis des années. Mais la technologie qu’elle nécessite a gagné en puissance et son application s’est répandue ces dernières années, engendrant des volumes plus importants d’eaux usées.

Les dangers de cette pratique ont été illustrés par de récents incidents. A la fin de 2008, des déchets de forage et de mines de charbon rejetés en pleine sécheresse ont saturé la Monongahela, au point que les autorités locales ont recommandé aux résidents de la région de Pittsburgh de boire de l’eau en bouteille. Dans un document interne, les représentants de l’EPA ont dépeint cet incident comme “l’un des pires cas où, dans l’histoire des Etats-Unis, les autorités ont été incapables de fournir de l’eau potable à la population”. La Pennsylvanie recèle de formidables réserves de schiste Marcellus, ce qui vaut à l’Etat d’être considéré comme l’Arabie Saoudite du gaz naturel. On y trouverait assez de gaz pour satisfaire pendant plus de quinze ans, au rythme de consommation actuel, les besoins énergétiques du pays en chayffage et en électricité.

L’an dernier, quelque 3 000 permis d’exploitation du gaz de schiste Marcellus ont été accordés en Pennsylvanie, contre seulement 117 en 2007, ce qui a créé des milliers d’emplois, a assuré de confortables pécules aux habitants qui louent leurs terrains aux sociétés de forage, et garanti des revenus à un Etat empêtré dans ses déficits budgétaires. Mais cela a également bouleversé le paysage du sud de la Pennsylvanie. Les derricks dominent les granges et bordent les routes. Nuit et jour, les sites de forage débordent d’activité, tandis que des poids lourds transportent des équipements, de l’eau et des déchets sur les petites routes. Difficile de passer à côté de ces sites sans les repérer : il y a d’abord le bruit et les secousses liés aux explosions souterraines. Mais aussi une épouvantable odeur d’égouts et d’essence mêlés, qui émane des fosses (parfois de la taille d’un terrain de football américain [plus de 5 000 mètres carrés]) où sont stockés les déchets de forage, parfois installées à proximité des habitations. Une partie (10 à 40 %) de l’eau envoyée dans le puits lors de la fracturation hydraulique remonte en surface, chargée des produits chimiques nécessaires au forage, d’une énorme quantité de sel et parfois de substances radioactives.

Selon les experts de l’autorité de contrôle, les stations d’épuration suffisent à traiter ces eaux usées. D’après eux, la plupart des substances toxiques sédimentent lors du processus de traitement pour former une sorte de boue que l’on peut ensuite stocker dans une décharge. Ils admettent que certaines substances toxiques ne sont pas totalement éliminées mais font valoir qu’elles seront très diluées après avoir été rejetées dans un cours d’eau. Les faits montrent pourtant que la réalité est moins rose. En 2008, certaines stations d’épuration ont traité de telles quantités de déchets contenant de telles concentrations en sels que les entreprises situées en aval se sont plaintes de voir leurs machines rongées par l’eau de la rivière. L’autorité de contrôle et les entreprises minières rétorquent qu’il s’agit de cas isolés. Or nos recherches – qui s’appuient sur plus de 30 000 pages de rapports issus de l’administration fédérale, locale, mais aussi des entreprises, et concernent plus de 200 puits de forage en Pennsylvanie, 40 en Virginie-Occidentale et 20 stations d’épuration publiques et privées – montrent que ce n’est pas le cas.

Le laxisme des autorités

Ces trois dernières années, les puits de Pennsylvanie ont produit plus de 5 milliards de litres d’eaux usées, soit bien plus que les chiffres officiels. Ces eaux – capables de recouvrir Manhattan sous près de 8 centimètres d’eau – ont été en grande partie traitées par des stations d’épuration qui n’étaient pas équipées pour les purger de toutes leurs substances toxiques.

Au moins 12 stations d’épuration, dans trois Etats, ont accepté ces eaux usées et les ont rejetées dans les fleuves, les lacs et les cours d’eau alors qu’elles n’avaient été que partiellement dépolluées. Sur plus de 179 puits produisant des eaux usées fortement radioactives, au moins 116 ont déclaré des quantités de radium et autres substances radioactives 100 fois supérieures aux normes fédérales en vigueur pour l’eau potable. Et au moins 15 puits ont produit des eaux usées contenant 1 000 fois plus d’éléments radioactifs que la normale.

La radioactivité des eaux usées n’est pas forcément dangereuse pour les gens qui travaillent dans les puits ou les stations d’épuration. Elle ne passe pas la barrière de la peau par exemple, et reste donc généralement inoffensive. En revanche, selon les spécialistes et l’EPA, les eaux usées radioactives deviennent très dangereuses si elles contaminent l’eau potable ou si elles entrent dans la chaîne alimentaire par la pêche ou l’élevage. Ingérer ou respirer du radium multiplie en effet les risques de cancer et d’autres maladies.

Dans le cadre de la loi fédérale, les analyses de la radioactivité de l’eau de boisson ne sont obligatoires que dans les stations d’épuration. Mais les autorités de contrôle, à l’échelon fédéral et des Etats, ont donné à presque tous les sites de production d’eau potable de Pennsylvanie l’autorisation de ne procéder à des tests que tous les six ou neuf ans.

Une étude confidentielle, menée en 1990 pour le compte de l’American Petroleum Institute, a conclu que, “en se fondant sur des hypothèses prudentes”, la présence de radium dans les eaux usées issues de forages déversées le long des côtes de Louisiane entraînait “des risques de cancer potentiellement importants” pour les gens qui consomment régulièrement du poisson pêché sur le littoral.

En décembre 2009, ces mêmes risques ont amené des scientifiques de l’EPA à adresser une lettre à la ville de New York pour conseiller aux autorités municipales de ne pas accepter dans les stations d’épuration des eaux usées issues de forage présentant des taux de radium 12 fois supérieurs au seuil autorisé pour l’eau de boisson. Le New York Times a découvert que certaines eaux usées contenaient des taux de radium 100 fois supérieurs à ce seuil. Des scientifiques de l’EPA se sont également penchés sur la question et ont mis en évidence que certaines rivières de Pennsylvanie ne parvenaient pas à diluer suffisamment les eaux usées mêlées de radium qui y étaient déversées.

Interrogés à propos de ces études, les responsables des autorités de contrôle de Pennsylvanie ont affirmé qu’ils n’en avaient pas connaissance. Pour une bonne part, le problème vient du fait que l’industrie a pris de vitesse les autorités de contrôle. “Nous n’arrivons pas à suivre, tout simplement”, a reconnu un inspecteur du département de la Protection de l’environnement de Pennsylvanie, qui n’avait pas le droit de parler à des journalistes. “Il y a trop de déchets, voilà tout. Et, si nous sommes trop sévères avec ces entreprises, a-t-il ajouté, elles pourraient arrêter de révéler leurs erreurs.” En novembre dernier, 31 inspecteurs surveillaient plus de 125 000 puits de pétrole et de gaz. La nouvelle réglementation a également autorisé au moins 18 stations d’épuration à continuer d’accepter les quantités plus importantes [de déchets] prévues dans le cadre de leurs précédentes autorisations.

En Pennsylvanie, la pollution liée aux forages peut également résulter de rejets accidentels. Ces trois dernières années, au moins 16 puits dont les eaux usées présentaient de forts taux de radioactivité ont signalé des rejets, des fuites ou des ruptures des cuves servant à stocker les déchets d’hydrofracturation, selon les archives de l’Etat.

En général, les producteurs de gaz sont censés gérer les conséquences de leurs rejets. Ils doivent déclarer ces déversements, concevoir leurs propres plans d’intervention et assurer le nettoyage. Un bilan des plans d’intervention sur les projets de forage de 4 sites de Pennsylvanie où se sont produits des accidents a fait apparaître que ces plans, pourtant approuvés par l’Etat, étaient souvent contraires à la loi. Les sociétés “subissent des pressions”, elles doivent “faire des économies”, assure John Hanger, qui a quitté son poste de responsable du département de la Protection de l’environnement de Pennsylvanie. “Cela revient moins cher de rejeter les eaux usées que de les traiter.”

Carte monde des gissements en gaz de schiste

 



12/03/2011
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