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La philosophie écologique et politique de l’anarchisme :John Clark



Ce texte est issu d’un ouvrage de James Clark, écologiste libertaire américain, La philosophie écologique et politique de l’anarchisme.
Nous le présentons comme une introduction à cette rubrique, dont l’objectif est de présenter des réflexions sur l’intérêt et l’opportunité historique selon nous d’orienter les rapports sociaux sur des fondements combinatoires entre idéal libertaire et conscience écologique.
Note : la mise en gras de certains passages, ainsi que les notes en bas de page, ont été rajoutées par nous.

« C’est à notre époque que nous voyons se profiler cette vision profondément inquiétante d’une civilisation dont l’essence se révèle être une progression du nihilisme. Enfin, nous apparaît la finalité de ce processus millénaire de dissolution et de désintégration qui avait commencé par le triomphe de la société politique sur la communauté humaine et s’est parachevé avec le mode actuel de contrôle technobureaucratique et avec la domination de l’image et de la marchandise. Les domaines de production et de consommation s’unissent aujourd’hui en une dialectique destructive qui vide de leur substance organique tant le monde naturel que la culture humaine.

Dans le domaine de l’esprit humain, il en résulte la perte générale d’un authentique sens de soi. Il y a longtemps que la communauté organique s’est désintégrée en une collection d’individus abstraits et largement asociaux ; mais, maintenant, même l’individu, si célébré à l’époque bourgeoise, arrive au stade final de sa décomposition. De fait, la subjectivité elle-même se dissout, comme objet « déconstructible » pour les critiques post-structuralistes [1], joyeusement iconoclastes, et par l’effet réel et historique de la récupération de ces restes dans le processus inexorable de la marchandise. Reste un univers nihiliste d’images fantomatiques.
L’ego affamé dévore tout sur son passage et, pourtant, progressivement dépérit, victime non seulement de l’absence d’aliments, mais aussi par autocannibalisme [2].

Dans le domaine de la nature, un processus équivalent de désintégration tend à s’achever. Depuis longtemps le concept de nature, comme totalité vivante, a cédé la place à l’idée de « ressources naturelles » à la disposition de l’Etat, de l’industrie et du consommateur, cet ultime sous-produit de l’extinction de l’homo-sapiens. Au point de vue matériel, l’écosystème, qui à une époque représentait un système organique riche et diversifié, a été dégradé et radicalement simplifié au point de se trouver à la limite du déséquilibre et de la catastrophe complète.

Les idéologies radicales du passé ont été tout à fait incapables de saisir la nature de cette crise sociale et écologique, ou d’espérer un renversement historique de ce processus de désintégration et de nihilisme triomphant. Le marxisme, en particulier, après avoir longtemps représenté la principale doctrine révolutionnaire, loin de nous offrir aujourd’hui un quelconque espoir de changement par une réorientation de l’histoire, apparaît comme l’idéologie de la domination technobureaucratique de l’humanité et de la domination humaine sur la nature. Il est nécessaire de non seulement rejeter mais aussi de démasquer les catégories marxiennes (ainsi que nombre des catégories « libertaires » qui leur correspondent dans l’idéologie anarchiste classique) parce que, sous un nouveau déguisement, elles perpétuent des valeurs de domination. Ainsi, la problématique d’une « révolution sociale », fondée sur les principes du « matérialisme historique », culminant dans l’établissement d’une société émancipée « socialiste » ou «  communiste », doit-elle être remplacée par une façon de voir qui englobe une pratique de régénération sociale, culturelle, spirituelle et biologique, guidée par une conception écologique et « organiciste » de la réalité, et ayant pour but une communauté écosphérique ne dominant ni l’humanité ni la nature.

Une politique écologiste doit bien sûr être une politique anarchiste, mais pas simplement cela. C’est dans la mesure où cette politique devra présenter une critique globale et sans compromis de toutes les formes de domination, et devra théoriser une pratique de lutte sans fin contre la domination, qu’elle sera dans la droite ligne des traditions les plus « nobles » de l’anarchisme. Mais cette critique de la domination n’est que le moment négatif qui conduit à une vision positive plus essentielle. « Se libérer de quelque chose », y compris de la domination, ne peut être une valeur positive fondamentale ; le « libertarianisme » n’est qu’une déviation, contrairement à cette notion abstraite et non théorisée de « liberté » que les libertariens de droite fétichisent. Le plus important dans le projet libérateur, c’est la quête sans fin d’une plus grande plénitude d’existence : quête d’un processus universel de réalisation de soi qui permet le plus grand développement possible d’un système harmonieux du bien dans la nature. En réalisant leur destinée de communauté fondée sur une synthèse harmonieuse de la raison, de la passion et de l’imagination, les humains réalisent également leur destinée d’êtres planétaires qui jouent leur rôle dans la floraison riche et magnifique de la biosphère.

Il est nécessaire de repenser (et de re-théoriser) le problème de la nature, et de remettre en cause encore une fois l’opposition culture/nature. Une vision mécaniste de la nature et une subjectivité solipsiste [3] aliénée par rapport à la terre font partie du lourd tribut que fait payer le dualisme cartésien. Il n’est pas étonnant que les sciences humanistes aient cherché à se réapproprier la nature, mais elles n’ont pu le faire qu’en la réduisant à sa simple représentation dans la sphère de la culture et de l’imagination.

Pour accomplir la transformation sociale il faudra « faire l’impossible » c'est-à-dire créer la communauté utopique et non simplement en rêver, de même faudra-t-il « penser l’impossible » : dépasser la frontière qui sépare culture et nature. En même temps que nous devons fuir le réductionnisme et le mécanisme de l’ancien « matérialisme historique » aujourd’hui discrédité, nous devons nous ouvrir à un naturalisme nouveau, plus prometteur, qui prend au sérieux les relations complexes et denses entre l’esprit et la matière, entre le fait et la valeur (pour en fin de compte transcender ces dualités), naturalisme qui situe l’évolution de la culture humaine dans le contexte incontournable de l’histoire de la nature concrète et élaborée. Nous devons, une fois de plus, appréhender la vieille notion de Terre comme être vivant, comme berceau d’une vie qui s’autodéveloppe.

Enfin, nous devons voir notre corps à la fois comme corps humain, corps de notre espèce, et comme corps céleste, corps de la Terre. Si nous réussissons à transcender l’individualité étroite (sans jamais perdre l’individualité), de façon à nous situer comme êtres vivants dans la concrète « unité dans la diversité » de la nature, nous réussirons peut-être en même temps à briser les chaînes qui retiennent l’esprit. »
John Clark


11/05/2011
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