Pure Performance Mountain Riding

Chantal Mauduit, une journée particulière sur le Lhotse

Chantal Mauduit, une journée particulière sur le Lhotse L'alpiniste a vu la tragédie du sommet voisin de l'Everest.


Chantal Mauduit, 32 ans, est devenue le vendredi 10 mai la première

femme à réussir l'ascension du Lhotse: par la voie normale, sans oxygène... et seule lors de la dernière journée. Ce même jour, sur l'Everest, dont le Lhotse n'est séparé que par le col sud, 24 alpinistes atteignaient le sommet, mais 8 disparaissaient à la descente (lire Libération du 15 mai). Chantal Mauduit, qui a désormais quatre sommets de plus de 8.000 mètres à son actif (le K2 en 1992, le Shisha Pangma par la face sud et le Cho Oyu par la voie polonaise, tous sans oxygène), connaissait bien deux des disparus: le Néo-Zélandais Rob Hall et l'Américain Scott Fisher, guides, qui ont payé de leur vie d'avoir assisté jusqu'au bout leurs clients (1). Jointe au téléphone à Katmandou, Chantal Mauduit raconte ce jour «très spécial».

«Le 10 mai au matin, il faisait très froid, avec un vent violent. J'avais bivouaqué avec deux jeunes Américains à 7.900 mètres d'altitude. La veille, nous avions dû planter la tente en pleine tempête, et la nuit avait été mauvaise. Eux n'arrivaient pas à se réchauffer, ils ne sentaient plus les extrémités de leurs doigts et de leurs orteils. Moi, j'étais bien acclimatée, ayant réussi le Pumori (7.165 mètres) en avril. Hormis le vent, les conditions étaient bonnes. Je suis donc partie seule vers le sommet. Lorsque je me suis retournée, j'ai vu que les Américains, qui m'avaient dit vouloir se réchauffer avant de démarrer, avaient renoncé.

» Pendant l'ascension, je voyais l'Everest juste en face, avec un panache énorme, immense. Le Lhotse ne fait que 8.511 mètres d'altitude, presque 400 mètres de moins que l'Everest, son orientation est différente, les conditions y étaient meilleures: j'avais un peu l'impression d'être dans un pays enchanté, alors qu'en face c'était endiablé. Je voyais les petits points des grimpeurs, sur l'arête sommitale. J'étais étonnée, je me demandais ce qu'ils faisaient là. Mais, heureux hasard, je n'avais pas de radio, et je ne savais pas le drame qui s'y nouait. Si j'avais su, je n'aurais rien pu faire mais peut-être aurais-je fait demi-tour...

» Je suis arrivée au sommet vers 14 heures. La descente s'est bien passée et, à 19 heures, j'étais au camp III, à 7.300 mètres d'altitude. Il neigeotait, il y avait des éclairs. La fin de journée était franchement mauvaise. C'est ce qui a été fatal à ceux qui se trouvaient encore en haute altitude.

» Lorsque j'ai retrouvé mes deux compagnons de bivouac, j'ai appris la catastrophe. Il y avait une grosse mobilisation sur la montagne. Beaucoup de sherpas montaient pour tenter d'assister les alpinistes en difficulté. Des grimpeurs qui attendaient dans les camps intermédiaires renonçaient de fait au sommet en montant à la rescousse des autres.

» Mais c'est l'abnégation de Rob Hall et de Scott Fisher (que je connaissais bien pour avoir grimpé à plusieurs reprises avec eux) qui m'a le plus impressionnée: Rob Hall est resté bivouaquer au ressaut Hillary (8.800 mètres d'altitude) pour ne pas abandonner son client épuisé (2); Scott Fisher a rabattu ses clients vers le col sud, et s'est épuisé en faisant la voiture-balai. Tous deux sont morts en allant jusqu'au bout de leur métier de guide.

» Au camp III, le vendredi 10 mai au soir, la nuit a été terrifiante. Le vent était hyper violent. Mais le lendemain matin, c'était plus calme, et j'ai pu redescendre au camp de base. » Dans ma tête, c'était bizarre. J'avais réussi le Lhotse, mais je ne bondissais pas de joie. Je ne pouvais pas bondir de joie. J'avais beau savoir que c'est la loi de la montagne, pendant deux jours, mon moral était atteint. Et puis, j'ai passé une soirée inoubliable avec des musiciens bulgares qui donnaient un concert à Lobuche, à 5.000 mètres d'altitude. Ça m'a remise d'aplomb moralement. » Aujourd'hui, à Katmandou, j'attends le feu vert de mon agence de trekking pour partir vers le Manaslu. Je suis très bien acclimatée ­ si je ne me sentais pas bien, je n'irais pas. J'espère réussir le sommet avec un sherpa avant l'arrivée de la mousson, dans deux à trois semaines».


(1) Les «expéditions commerciales» sont désormais nombreuses sur l'Everest. Des clients, alpinistes plus ou moins expérimentés, payent de l'ordre de 300.000 francs pour avoir une chance de tenter le plus haut sommet du globe.


(2) Douglas Hansen est mort pendant la nuit. Rob Hall, lui, survivra deux jours aux abords du sommet. Depuis sa dernière communication radio avec sa femme, le dimanche matin, il est officiellement disparu.



17/07/2011
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